Supplément au voyage de Bougainville de Diderot.
Pour vous situer l’œuvre et son propos :
En 1771, deux ans après son retour en France, Louis-Antoine de Bougainville, le premier français à faire le tour du monde (1766-1769) et premier explorateur à découvrir les îles du Pacifique, publie son récit de voyage sous le titre Voyage autour du monde par la frégate la Boudeuse et la flûte l’Étoile. Vers la fin de 1771, Diderot rédige un compte rendu louangeur de ce récit de Bougainville pour la correspondance littéraire du baron allemand Friedrich-Melchior Grimm, ami des encyclopédistes, qui publie à Paris une sorte de journal destiné à renseigner les cours d’Europe sur la vie culturelle et artistique dans la capitale française ; Diderot est un de ses rédacteurs attitrés. Un an plus tard, Diderot travaille à ce qui deviendra le supplément, mise en forme dialoguée du compte-rendu de lecture du voyage de Bougainville. Le Supplément se place sous le signe d’une addition en forme d’ajout purement fictif au texte source, le Voyage de Bougainville, apportant simplement la base d’une réalité géographique et historique au débat sur l’état de nature.
Situation de l’extrait :
Bougainville est sur le point de reprendre la mer pour s’en retourner en France. Le tahitien le plus âgé du village, le seul qui ne lui avait pas fait bon accueil, vient le saluer et lui tenir un discours édifiant, dont je vous livre un extrait.
Les adieux du vieillard : chapitre 2.
« Tu es venu ; nous sommes nous jetés sur ta personne ? Avons-nous pillé ton vaisseau ? T’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? T’avons-nous associé dans les champs au travail des animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons pas troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris parce nous n’avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos cabanes, qu’y manque-t-il à ton avis ? Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles commodité de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter, lorsqu’ils n’auraient à obtenir de la continuité pénible de leurs efforts que des biens imaginaires. Si tu nous persuade de franchir l’étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t’agiter, te tourmenter tant que tu voudras ; laisse-nous reposer : ne nous entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques. »
On en envoie une copie à l’OMC et au Vatican ?